Art Press n°437 – octobre 2016
Supplément: Hervé Di Rosa et les arts modestes

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ÉDITO

C’était au tout début du millénaire. S’ouvrait, dans un ancien chai de la ville de Sète réaménagé par Patrick Bouchain, le Musée international des arts modestes. Artpress accompagnait cet événement à travers une longue interview de l’écrivain Frédéric Roux, ex-membre du groupe Présence Panchounette et premier di- recteur artistique du musée, et du philosophe Jacques Soulillou, théoricien du « décoratif » (1). Nous soulignions alors l’importance de ce parrainage pour un musée dont les créateurs étaient précisément deux artistes, Hervé Di Rosa et Bernard Belluc. Dans le domaine de l’art, y a-t-il initiative plus crédible que celle qui vient des artistes eux-mêmes ?

Aussi sommes-nous particulièrement heureux de retrouver aujourd’hui le MIAM, dans ce nouveau moment de son histoire, quand la Maison rouge à Paris accueille une exposition où s’entremêlent l’œuvre de Di Rosa et une partie de ses fabuleuses collections qui constituent, avec celles de Bernard Belluc, le fonds du musée – Plus jamais seul –, tandis que le musée lui-même permet de parcourir rien moins que l’Archipel Di Rosa.

Les arts modestes, ce concept souple et vagabondant imaginé par Di Rosa, qui touche à l’art naïf, à l’art brut, aux arts populaires comme à l’art dit « d’aéroport » et à bien d’autres formes encore comme on va le voir dans les pages qui suivent, sans jamais s’y réduire, marque une étape importante de l’histoire de l’art moderne et contemporain. Un peu plus de dix ans après l’exposition des Magiciens de la Terre, qui nous avait fait découvrir des traditions, savantes ou non, rituelles ou profanes, venues des cinq continents, les arts modestes permettaient l’extension du domaine de l’art à l’intérieur de notre propre culture. À la course en avant des avant-gardes occidentales, se substituait, dans la chambre obscure de quelques esprits curieux, la révélation de formes artistiques que la modernité avait oubliées dans son négatif. Dans un effet retour, s’intéresser à des pratiques rituelles, ou artisanales, ou vernaculaires à l’autre bout du monde, rendait possible qu’on observe enfin des pratiques qui existaient chez nous et qui soit s’y apparentaient dans la forme ou dans le fond, soit possédaient la même vertu d’être, par rapport à la marche de la grande Histoire de l’art, marginales, négligées, quand ce n’était pas méprisées.

L’esprit moderne voulait du neuf, disait- on ? Désormais, le neuf se trouvait dans ce qui était déjà là, crevait les yeux, mais auquel les mentalités n’avaient pas encore accordé un vrai statut.

À cela s’est ajoutée l’accélération, sous l’effet de l’intensification des échanges et du développement d’Internet, d’une globalisation qui n’est pas seulement illustrée par les ventes en ligne de Christie’s s’adressant à un marché mondial. Qui peut être aussi la rencontre, dans un atelier, au Cameroun, d’Hervé Di Rosa avec les praticiens d’une sculpture sur bois unique.

Trois décennies avant ce millénaire, artpress lui-même avait été fondé dans une époque bien différente où l’art occidental était parvenu à une sorte d’épure de lui- même. La revue était particulièrement attentive à cet art qui rejoignait la philosophie, s’occupait d’ontologie, de méta- physique. Mais l’art en quête de sa propre essence touchait à la ligne d’horizon qui fatalement allait le faire basculer brusquement dans un nouvel espace. Les arts modestes si joliment cartographiés et inlassablement «recartographiés» par Hervé Di Rosa sont un des continents dans cet espace. Le terrain est riche de productions qui mettent au jour les fantasmes, les obsessions, les naïvetés et les superstitions, les désirs et les rêves, les profondeurs avouées et inavouées de l’homme moderne qui n’en a jamais tout à fait fini ni avec l’enfance de l’humanité ni avec celle de l’individu qu’il est. Pour commencer à poser des repères sur ce territoire des arts modestes, il nous fallait bien une solide équipe d’ambitieux pionniers, historiens de l’art, critiques, philosophes et anthropologues. Ils se sont mis au travail avec enthousiasme. Qu’ils trouvent ici nos chaleureux remerciements.

Catherine Millet

(1) Jean-Yves Jouannais, Catherine Millet, « La morale de l’art 
modeste », entretien avec Frédéric Roux et Jacques Soulillou, 
artpress n°262, novembre 2000, p. 53.

Artpress 2e cahier du n°437 – octobre 2016