Di Rosa, l’innombrable.
Patrick Grainville
Pour Di Rosa, l’Un est nul et non avenu. Pas d’idée transcendante ni d’universalité totalitaire. Le divers invente et divague à l’infini. L’aventure est ouverte, multiple, protéiforme. Di Rosa va partout, est partout. Nomade en Bulgarie, au Vietnam, en Afrique du Sud, au Ghana, au Bénin, au Mexique. Ubiquité! Caméléon d’amour. Il puise dans chaque pays une technique singulière et la saveur de nouveaux rites. Icône, tempera, feuilles d’or, tressage, bois brûlé, flotté, fresque, incrustation de nacre sur laque, tissage de coton, panneaux de bois, cadres en pewter magnifiquement bosselés de motifs fabuleux…
Cannibale, Di Rosa? Prédateur glouton tous azimuts? Non! Il découvre. Il se love dans le nid qu’il explore. Il s’imbibe des sucs et des esprits du cru. Il se laisse apprivoiser, posséder par de nouvelles ondes.Il a faim de textures, de trames, de minerais, de métaux, de peaux, de fibres et de joyaux. Il bariole la toupie du cosmos. Les matières les plus frustes, les plus rares. Rien ne prévaut. Tout fait ventre et voilure et circulation de chimères. Di Rosa n’est pas un ethnographe, ni un reporter. Il se projette tout vif dans le miroir que tel pays d’élection lui tend. Cette nouvelle grille où il pourra tester, déchiffrer les virtualités inconnues de son art. Il s’identifie à des formes inédites et à leur fantaisie essentielle. Contagion réciproque qui l’exerce et le nourrit. Ses ménageries, ses flores, ses peuplades, ses fétiches, ses Eve et ses Adam, ses ludions, ses tarasques, ses gargouilles, ses gnomes, ses robots, ses sirènes, ses jaguars, ses fées, ses fariboles, ses cités, ses forêts-, il les réinvente sans cesse en se frottant à des contrées provocantes.
Je est un autre. Des myriades d’autres, la ronde ensorcelée des autres. Le moi n’est que la somme des métamorphoses du monde. Un moi farandole. Un moi carnavalesque. Une convivialité boulimique. Règne un blason obsessionnel chez Di Rosa: l’œil! L’œil embusqué partout, de biais, de face, superposé, exorbité, auroral, azimuté! belzébuthé! Un œil de mouche. Una grande œillade foisonnante et mouchetée. Toutes les facettes espionnes d’une convoitise énorme. Comme les yeux des vieillards qui guettent Suzanne au bain. Ou les yeux d’Actéon surpris. Œil voyeur, voyant et voyageur, versicolore. Œil du grand méchant loup, œil du poulpe gourmet, oeil de marsupial ébloui, œil de Bunny! Œil ou œuf ou ocelle ou… Car tout fourmille chez Di Rosa. Le cosmos est une arche bourrée de luxuriance, tous les paradis, les enfers, toutes les foules, tous les zèbres, les zigolos y embarquent. C’est le grand démarrage pour les Cythère de l’univers.
Dirosaland, c’est surtout l’aire des départs mirobolants, en bateau, en train, en avion, en bathyscaphe… L’œil s’écarquille, hybride, amphibie, ailé, il tangue, il chaloupe, il lorgne, il rit, il s’horrifie. L’œil de Picasso, l’œil de la pieuvre, de la sirène. L’œil de la vulve et du pénis. Tout est périscope et longue-vue. Pour voir et se régaler. De façon panoptique déboulent tous les régistres de la création et de l’imaginaire, tous les étages, tous les cercles de Dante, de Babel et de Broadway. Tout un scenic railway mirobolant.
La peinture de Di Rosa est une sarabande sagace. Il y a du Bosch et du Bruegel en lui, autant que de la Bande Dessinée ou de l’affiche publicitaire. Du féérique et du burlesque, du farfelu. Du méticuleux, du menu, du précieux, du chiné, du diapré et du majuscule, de l’hyperbole, de la caricature hurlante et des fantasmagories hypertrophiées.
Mais tout cela conjugué, métissé dans des compositions très orchestrées. Car il lui faut du rythme et de l’architecture. Tantôt l’espace prolifère jusqu’à saturation. Tantôt il s’organise en pans distincts, tribus, totems. Espaces claniques ou plus aléatoires, plus voltigeants, plus chaotiques. Vignette ou vignoble effréné. Mais tout est mis en scène et comme dansé pour l’œil et la kermesse visuelle.
Telle est l’ivresse ludique et lucide de Di Rosa. Tisserand et forgeron, acrobate et orfèvre, alchimiste et Arlequin. Chaman de tous les envols. Chaviré dans le Grand Huit casse-cou du cosmos. Telle est son euphorie curieuse et sa jubilation mordante, tentaculaire.Hervé Di Rosa nous en fait voir de toutes les couleurs. On n’en croit pas ses yeux! Oui, on a la berlue. On reste éberlués par tant d’alacrité, de lyrisme et de lubies exactes.
Publié dans le catalogue de l’exposition Hervé Di Rosa. Tout un monde (1992-2002) à Vascœuil, château, centre d’art et d’histoire, 2002.
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DI ROSA, INEXHAUSTIBLE
Patrick Grainville
Translated by Ann Cremin
As far as Di Rosa is concerned One is pointless. There is no such thing as a transcendental idea nor a totalitarian universality. The many invent and wander ad infinitum. Adventure is open, multiple, proteiform. Di Rosa is everywhere, all over the place. He is a nomad in Bulgaria, in Vietnam, South Africa, Ghana, Benin, and Mexico. Ubiquitous! A lovelorn chameleon. In each and every country he seeks out its specific technique, as well as the flavour of new rituals. Icons, tempera, gold leaf, weavings, burnt woods, floating woods, frescoes, incrustations of mother of pearl on lacquer, cotton weavings, wooden panels, jewelled frames marvellously embossed with fabulous designs…
Is Di Rosa a cannibal? An overweeming glutton? No! He is a discoverer. He settles into the nest he is exploring. He absorbs the juices and the spirits of the place itself. He allows himself to be overwhelmed, overtaken by new approaches. He is hungry for textures, woof and warps, minerals, metals, skins, fibres and jewels. He paints over the cosmic spinning top. Whether the materials be crude or rare. Nothing can whithstand him. Everything turns into bellies and billowing sails and moving chimeras.
Di Rosa is not an ethnographer, nor he is a reporter. He throws himself wholeheartedly into the mirror every selected country shows him. It will become a new grid on which he can test, decipher the unknown mutually contagious, and both exercices and nourishes his work. As for his menageries, his flora, his people, his fetishes, his Adams and Eves, his pranksters, his Tarascoes, his leprechauns, his robots, his sirens, his jaguars, his fairies, his nonsensical tales, his cities and his forests, – he never stops reinventing them by pitting himself against provocative countries.
One is another. Myriad others, the spellbound dance of the others. «One» is nothing but the sum of the world’s metamorphoses. Bring on the merry-go-rounds! A carnivalesque One.
A ravenous conviviality.
In Di Rosa’s work we find an obsessive embellishment: the eye! The eye which is everywhere: sideways, full-face, superimposed, exorbitant, dawning, all over the place, and let the devil take the hindmost! A fly’s eye. A huge glance brimming over, and flyspotted. All the spying facets of enormous covetousness. Like the eyes of those old men watching Suzanne bathing. Or Acteon’s eyes when surprised. A voyeur’s eye, seeing and travelling, multicoloured. The eye of the big bad wolf, the greedy pulp’s eye, the eye of an amazed marsupial, Bunny’s eye! An eye or an egg or a peacock’s eye, or… Because in Di Rosa’s world, everything is in constant motion. The cosmos is a luxuriant ark, all the heavens, all the hells are found there, the crowds, the zebras, the zygotes are all setting off from there. It is the main departure gate for universal Cytheras.
Dirosaland is chiefly the jumping off place for amazing journeys, by boat, train, plane, submarines… The eye opens wide, it is a hybrid, amphibious, winged, it weaves, it waters, it laughs, it is appalled. Picasso’s eye, the jellyfish’s eye, the siren’s eye. The eye of the vulva and that of the penis. Everything can turn into a periscope and a telescope. So as to see and enjoy oneself. In a panoptic way every registry in creation and in the imaginery occurs, all the levels, all the circles, be they Dante’s, Babel’s or Broadway’s. A whole mind-blowing scenic railway.
Di Rosa’s painting is a wise cavalcade. There are echoes of Bosch and Brueghel there, as well as fragments of Comic Strips, and/or advertising posters. We also find fairytales, burlesque, nonsense rhymes. But it also contains meticulousness, preciousness, miniatures, weavings, shimmering, as well as overlarge, hyperbolic, screaming caricatures and hypertrophied fantasmagorical figures.
But all of these things are combined, mixed in with very carefully thought-out compositions. because he needs architectures and rhythmes. Sometimes space takes over completely. At over time, it is organized in disctinct parts, tribes, totems. Clannish areas or other more random, more flighty, more chaotic spaces. A vignette or a mad wine crop. But everything is onstage and is danced for the pleasure of the eye and of the visual funfair.
Such is Di Rosa’s fun-loving and lucid drunkeness. He is a weaver and a blacksmith, an acrobat and a jeweller, and alchimist and a Harlequin. A shaman of every stripe. Throwing himself head first into the hair-raising cosmic Great Loop. Such is his curious euphoria and his biting, tentacular jubilation.
Hervé Di Rosa shows puts us through the rainbow coloured mill. We cannot believe our eyes! Yes, we must be crazy. We remain transfixed by so much alacrity, lyricism and accurate whimsy.
Published in the catalogue of the exhibition Hervé Di Rosa. Tout un monde (1992-2002) in Vascœuil, château, centre d’art et d’histoire, 2002.
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DI ROSA, EL INNUMERABLE
Patrick Grainville
Traducción : Jacqueline André
Para Di Rosa, lo Único no existe y no vale. No hay idea trascendente ni universalidad totalitaria. Lo diverso inventa y divaga al infinito. La aventura es abierta, múltiple y proteiforme. Di Rosa va a todas partes, está en todas partes. Nómada en Bulgaria, en Vietnam, en Sudáfrica, en Ghana, en Benin, en México. ¡Ubicuidad! Camaleón de amor. En cada país extrae una técnica singular y el sabor de ritos nuevos. Icono, templa, hoja de oro, trenzado, madera quemada, madera rescatada del mar, frescos, incrustación de nácar en laca, hilado de algodón, paneles de madera, marcos de pweter maravillosamente repujados con motivos fabulosos…
¿Di Rosa, un caníbal? ¿Un depredador glotón en todas direcciones? ¡No! Él descubre. Se acurruca en el nido que explora. Se impregna con los jugos y los espíritus de los terruños. Se deja atrapar y poseer por corrientes nuevas. Está hambriento de texturas, de urdimbres, de minerales, de pieles, de fibras, de joyas. Abigarra el trompo del cosmos. Los materiales más burdos, más extraños. Nada prevalece. Todo se hincha y se abomba y circulan las quimeras.
Di Rosa no es un etnógrafo ni un reportero. Se proyecta por completo en el espejo que le ofrece el país elegido. Una nueva red en la que podrá probar y descifrar las virtualidades desconocidas de su arte. Se identifica con formas inéditas y con su fantasía esencial. Contagio recíproco, que lo entrena y lo nutre. Sus bestiarios, sus floras, sus tribus, sus fetiches, sus Adanes y sus Evas, sus ludiones, sus tarascas, sus gárgolas, sus gnomos, sus robots, sus sirenas, sus jaguares, sus hadas, sus historias, sus ciudades, sus bosques, los inventa una y otra vez codeándose con regiones provocadoras.
Yo es otro. Miríadas de otros, la ronda embrujada de los otros. El yo no es sino la suma de las metamorfosis del mundo. Un yo farandulero. Un yo carnavalesco. Una convivencia bulímica.
Un blasón obsesivo reina en Di Rosa: ¡el ojo! Un ojo apostado en todas partes, de lado, de frente, superpuesto, exorbitado, como una aurora boreal, ¡extraviado! ¡endemoniado! Un ojo de mosca. Un gran vistazo plétorico y moteado. Todas las facetas espías de un enorme anhelo. Como los ojos de los ancianos que acechan a Susana en el baño. O como los ojos de Acteón sorprendido. Ojo veedor, visionario, viajero y variopinto. ¡Ojo del gran lobo malo, ojo del pulpo glotón, ojo de marsupial deslumbrado, ojo de Bunny! Ojo o huevo u ocelo o… Porque todo hormiguea en Di Rosa. El cosmos es una arca atiborrada de exuberancia, todos los paraísos, todos los infiernos, todas las multitudes, todos los tipejos y los fantoches suben en ella. Es la gran partida hacia los Citeres del universo.
Dirosaland es sobre todo el terreno de las partidas extraordinarias, en barco, en tren, en avión, en batiscafo… El ojo se desorbita, híbrido, anfibio, alado, se bambolea, se contonea, mira de soslayo, ríe, se horripila. El ojo de Picasso, el ojo del pulpo, de la sirena. El ojo de la vulva y del pene. Todo es periscopio y catalejo. Para ver y disfrutar. En forma panóptica, bajan rodando todos los registros de la creación y de la imaginación, todos los pisos, todos los círculos de Dante, de babel y de Broadway. Todo un maravilloso scenic railway.
La pintura de Di Rosa es una retahíla sagaz. En él hay algo de Bosch y de Bruegel, lo mismo que algo de historieta y de cartel publicitario. Algo de fantástico, de burlesco y de extraño. Algo de meticuloso, de menudo, de precioso, de chinesco, de irisado y de mayúsculo, hay hipérbola, caricatura aullante y fantasmagorías hipertrofiadas.
Pero todo esto conjugado, amestizado en composiciones muy orquestadas. Porque necesita ritmo y arquitectura. Unas veces el espacio prolifera hasta la saturación. Otras veces se organiza en lienzos diferenciados, en tribus y en tótems. Espacios clánicos o más aleatorios, más revolantes, más caóticos. Viñeta o viñedo desenfrenado. Pero todo está montado en escena y como bailado para la mirada y para la kermesse visual.
Así es la embriaguez lúdica y lúcida de Di Rosa. Tejedor y herrero, acróbata y orfebre, alquimista y Arlequín. Chaman de todos los vuelos. Náufrago en la peligrosa gran Montaña Rusa del cosmos. Así es su euforia curiosa y su júbilo mordaz, tentacular.
Hervé Di Rosa hace que nos las veamos negras. ¡No damos crédito a nuestros ojos! Sí, sufrimos visiones. Quedamos estupefactos por tanta alacridad, tanto lirismo y tantas fantasías exactas.
Publicado en el catálogo de la exposición Hervé Di Rosa. Tout un monde (1992-2002) en Vascœuil, château, centre d’art et d’histoire, 2002.